EVGUENI ZAMIATINE
La caverne
Le récit le plus important
A travers les millions de verstes des glaces aériennes, tourbillonnant, toujours plus frénétique, l'étoile file et siffle afin de consumer, d'embraser, toujours plus proche. Et là, les trois derniers êtres. Eclairés d'une lumière nouvelle, rouge et ultime, ils boivent avidement sans plus compter, l'air qui reste, s'enivrent, respirent comme, sur cette étoile, les hommes respiraient il y a bien longtemps, des milliers de cycles auparavant ! Oh une fois dans la vie, sans penser, sans compter avec le corps, la bouche et la poitrine !
L'homme et la femme sont étroitement enlacés : en deux, ils ne sont qu'un. Et la plus âgée, la Mère, est au-dessus d'eux, au-dessus de tout. Sur l'incendie rougeoyant du ciel se grave son profil, sourcils et lèvres serrés, fortement, elle est marmoréenne comme la destinée, ses épaules sont légèrement ployées sous quelque fardeau, dressée, elle attend. Et voici que sous les pieds émerge comme un corps vivant, s'ouvrent des crevasses baignées de rouge dans les murs millénaires, tintent les éclaboussures du verre.
Le silence. Dans les déserts, les ombres acérées et crénelées des rocs renversés. Allumés d'étincelles écarlates les blocs glacés de verre et au-dessous d'eux — comme à travers la glace, au fond, les amas sombres des machines, des livres et trois cadavres gelés instantanément, serrés l'un contre l'autre.